Texte de Jacques MARMAYOU du 12 avril 2022
C’ est un avant Pâques glacial et venté mais extrêmement dense auquel nous invite Bernard Salles. Trois concerts qui ne laissent pas indifférents : Le 1er avril à Collioure, le 2 au Boulou le 3 à Prades. Une heure et demie de recueillement autour d’une de ses compositions pour soprano, alto, ténor, basse, récitant et orchestre : « Les sept dernières paroles du Christ en Croix » suivie du Requiem de Mozart avec le chœur Tutti Canti de Saint Cyprien et le chœur Aeolia de Tarnos dans les Landes.
Deux œuvres sur les souffrances humaines, celles du Christ frappé, flagellé puis cloué sur la croix ; celles du requiem, ce temps suspendu entre la mort et un corps qui va disparaitre à jamais, mais aussi les violences pour lesquelles Bernard Salles a dédié son premier concert : les victimes innocentes de la guerre en Ukraine.
L’auteur des Sept dernières paroles du Christ en croix, inspirées par la contemplation du Dévot Christ, nous amène à une réflexion sur ce corps que l’agonie a vidé de toutes ses douleurs. Les notes graves et répétées des violoncelles en un pianissimo tissant un son continu, nous plongent dans une nuit qui s’annonce longue et douloureuse. Seule la clarinette nous guide vers le battement sourd d’une timbale lointaine comme pour nous rappeler qu’une vie est encore là, pour implorer le pardon divin et sauver l’humanité. Le cri d’abandon lancé par un solo de trompette est renforcé par tous les instruments, alors que la voix humaine surgit comme une prière d’espérance. Le thème des trompettes repris en fugato par les trombones est suivi par les violons et violoncelles puis par l’ensemble des instruments. Un univers sonore, où les harmoniques des violons s’opposent aux pizzicati des contrebasses comme une oscillation entre chaos et certitude dans un ultime passage de la mort à la vie.
Le Requiem qui a suivi est l’écho en résonnance profonde de l’œuvre de Bernard Salles.
Dernier opus que Mozart tient d’un bloc, comme à son habitude, prêt à l’écrire d’un seul jet sans reprise ni rature, avec acharnement, comme une nécessité pour repousser toutes les angoisses du monde. Mais le Temps était là et n’a pas attendu. De ce combat qu’il sentait le dernier, il a jeté sur la partition les parties vocales, composé les basses, écrit l’harmonie avec les chiffrages et parfois l’orchestration. L’Introïtus et les huit premières mesures du Lacrimosa sont de sa main. Et ce qui devait être la commande du comte Franz Von Walsegg pour un hommage à sa jeune femme défunte devient le testament musical de Mozart. Tous les matériaux sonores seront utilisés pour un véritable hymne à la vie. De la tessiture grave de la tonalité de ré mineur qu’il pousse à l’extrême, à l’utilisation du fugato qui mêle les voix dans la densité de la polyphonie. Quatre accords de septième diminuée vont suspendre la tonalité pour glisser imperceptiblement du mineur (voix de femmes) à l’espoir annoncé par le majeur (voix d’hommes). Tandis que la gamme diatonique (celle que nous connaissons) sera suivie d’une série de demi-tons retardant l’accès à une tonalité qui va s’éclaircir inexorablement jusqu’au point culminant de la « Lux aeterna ».
Une œuvre difficile, très forte, qui prend toute sa dimension après les nombreuses répétitions animées par Emmanuelle Lamarque et par Eloïse Aymerich pour les chœurs et la mise en place par Bernard Salles aussi pédagogue dans la coordination de ces choristes amateurs tous suspendus à la baguette du chef, qu’inspiré dans la direction des œuvres interprétées. Bernard Salles a su métamorphoser ces musiciens et galvaniser un public qui a salué ces concerts par une longue et assourdissante ovation.
Jacques Marmayou
Le 12 avril 2022