Texte de Jacques MARMAYOU du 16 avril 2023

GABRIEL FAURÉ CONCERTS MARS / AVRIL 2023

Pour la deuxième année consécutive, l’Orchestre Symphonique Alénya Roussillon se joint au Chœur Tutti Canti de Saint-Cyprien, rejoint pour la circonstance par le Chœur Via Lyrica de Narbonne. Quatre concerts consacrés entièrement à Gabriel Fauré. Un hommage à ce Maître qui a œuvré à la renaissance de la musique française dans la pure tradition, de Rameau à Poulenc en passant par Bizet et Ravel. Un choix qui a le mérite de rappeler que dans le grand bouleversement esthétique qui a traversé la fin du XIX° siècle avec la remise en cause du système tonal, Fauré a construit son œuvre avec certitude, étranger au mythe wagnérien, aux innovations harmoniques de Debussy et à l’avant-garde musicale qui se mettait en place. Il suit sa voie par des inventions harmoniques, par une grande diversité de modulations, le tout avec une discrétion des moyens employés qui assure à son œuvre un attrait toujours actuel.

Partie instrumentale seule.

L’héritage de Gluck à Wagner qui nous a immergé dans le combat des passions a développé, à travers les légendes, le thème de l’amour impossible. Fauré n’a pas échappé à ce courant qu’il va traiter dans une intimité retenue. Sa suite symphonique Pelléas et Mélisande nous porte au cœur des tourments. Le Prélude, doux et envoûtant, finit par libérer sa tension contenue pour introduire un climat tragique. L’intervention fortissimo du cor, annonce Golaud surprenant son épouse Mélisande en présence de Pelléas. Dans le drame qui s’annonce la Sicilienne apporte un bref répit. La harpe, qui soutient la sonorité claire et délicate de la flûte, suit le mouvement souple et ondulant de la longue chevelure de Mélisande, seul lien qui unit les deux amants. L’orchestre rend admirablement ces pages sublimes, où Fauré ne force pas la note mais la donne, où la musique porte les passions dans une immense pudeur.

Avec l’Elégie, Fauré quitte le mythe pour nous plonger dans son intérieur profond. L’ouverture sombre suivie de parties plus intenses nous introduit dans un climat de désespoir amoureux. Le long développement consacré à la rupture va contraster avec un crescendo fougueux et expressif pour éclater dans le mi du registre aigu du violoncelle, comme un dernier combat avec soi-même, avant que la tension ne retombe, signe d’une paix enfin retrouvée. Mais ce mi triomphant, Fauré l’a maintenu bémol comme pour rappeler que la blessure est toujours là. Une des plus belles pages écrite pour le violoncelle, magnifiquement interprétée par Shani Megret avec un jeu limpide très legato et émouvant.

En dédiant la Pavane à la comtesse Elisabeth Greffulhe, la plus belle des femmes selon Proust, excellente pianiste, peintre à ses moments et qui recevait dans ses salons les plus grands artistes musiciens, écrivains, peintres et savants, Fauré savait que l’admiration qu’il portait à cette aristocrate courtisée par tous les grands, ne pouvait se faire qu’avec distance. De cette relation, il nous livre une œuvre mélancolique au rythme binaire qui nous plonge dans ces forces où s’inventent les vérités qui blessent. Une atmosphère entretenue par les bois qui se passent la mélodie, parfois jouée à la tierce, soutenue par les pizzicati légers des cordes. Le registre grave de la flûte accentue le caractère intérieur et pénétrant de cette musique à l’écriture délicate et aux nuances subtiles

Partie chorale et instrumentale.

Cette exploration de l’univers intérieur a toujours habité Fauré. Quand il quitte le silence des montagnes ariègeoises, c’est pour la recherche d’une certitude. Et cette croyance nécessaire, il va la croiser dans l’éducation qu’il reçoit, dès neuf ans, à la nouvelle Ecole de Musique religieuse fondée par Louis Niedermayer. Un enseignement qui cultive le chant grégorien et les pratiques musicales de la Renaissance, marquant très fortement l’univers musical de Fauré. Le Cantique de Jean Racine viendra couronner ces dix ans d’études par un premier prix de composition. Une œuvre où l’auteur nous invite à une autre face de son univers personnel inspiré par la distance que prend le poète dans la traduction du recueil des « Hymnes du bréviaire » et par la ferveur toute retenue qui en résulte. Le développement décalé des voix, associé aux changements de tons, installe, imperceptiblement, un contexte d’incertitude que renforce l’emploi de dissonances passagères. Cette œuvre de jeunesse, particulièrement expressive, trouve toute sa portée dans l’exploration du système tonal.

C’est vingt-deux ans plus tard que Fauré fait du Requiem l’aboutissement de ses recherches. Le climat est donné par le sforzando du premier accord qui éclate comme une vie qui s’éteint soudainement et un chœur qui nait de ce silence comme l’espoir d’une paix à retrouver. Toute l’œuvre est là, entre certitude et doute. Entre le crescendo contenu des basses qui renforce le chœur dans l’Introït, et l’incertitude amenée par les demi-tons ondoyants de l’Offertoire, aux accents profonds et graves, comme désemparés, de la voix du baryton Sylvain Huet. Entre le Sanctus qui apporte l’apaisement, nous préparant à la paix du mouvement Pie Jesu, porté par l’élégance de la ligne vocale et par la beauté du timbre de la soprano Elisabeth Ghaly, et l’espoir de la Lux aeterna de l’Agnus Dei que viennent perturber les turbulences d’un dies irae. Mais les arpèges lumineux du In Paradisium feront tomber le masque des dernières incertitudes de la nuit. Le double piano des dernières mesures du requiem aeternam s’efface imperceptiblement dans le silence de la paix désirée.

Tout un univers de l’intime que Fauré a su exploiter par l’utilisation de la modalité pour nous placer face à notre solitude.

Une musique admirablement servie par la direction claire et précise de Bernard Salles, tant dans l’entrée des différents pupitres de l’orchestre, que dans l’intervention des divers registres des voix. Un chef qui communique toute sa passion à ces musiciens qui se surpassent dans un moment de grande beauté spirituelle.

Public debout pour un bis éclatant repris au forte du Libera Me et longue ovation pour l’orchestre et ces chœurs d’amateurs dans le sens fort du terme amateur, celui qui aime, emmenés par Eloïse Aymerich et Sylvie Villacèque.

 

 

 

Le 16/04/2023 Jacques Marmayou

Concert du 26-03-2023 à St Laurent

Concert du 31-03-2023 à Narbonne

Concert du 01-04-2023 à Perpignan

Concert du 02-04-2023 à Prades